« Vous êtes perdus ! Lâcha Ghetno à moitié caché derrière l’ogre Brutog.
— Mais nooon… » rétorqua Jelsen, agacé.
Il ne comprenait pas les traces qu’il scrutait depuis quelques minutes, accroupi dans la mousse qui tapissait le sol de cette partie de la forêt.
« Nous ne sommes pas perdus, c’est la forêt qui nous trompe. Murmura Sven en examinant l’écorce d’un arbre. Elle bouge en même temps que nous et nous fait tourner en rond. »
Le sang de Ghetno se glaça en entendant son ami, il se voyait déjà ne jamais revenir de cette expédition qui, depuis le départ, ne lui inspirait aucune confiance. Il regrettait de s’être embarqué dans une telle histoire.
Une lueur apparut à quelques mètres, le sortant de ses réflexions. Puis une autre, quelques mètres plus loin. Et encore une autre… Ainsi le groupe d’aventuriers se retrouva cerné par six feux follets brillants, ondulants mollement dans l’air, les narguant de leurs ricanements d’enfants moqueurs.
« J’aime pas ç… » Le grognement de Jelsen fut interrompu par des craquements émis par un arbre non loin, dont l’écorce se déchirait et s’arrachait, laissant apparaître une espèce de main aux doigts semblables à des branches noueuses. A ce spectacle, Ghetno se jeta pour de bon derrière Brutog et Emelda dégaina son épée. Dans un râle, une dryade s’extirpa du tronc qui l’hébergeait et avança vers la troupe.
Ne prêtant pas grande attention à la dryade, l’ogre se jeta sur le premier feu follet à sa portée, lui assénant un violent coup de masse qui ne fit que le traverser, mais l’entité disparu dans une brume bleutée et un tintement se fit entendre lorsqu’un cristal formé par la brume tomba au sol. Brutog le ramassa prestement pour le glisser dans sa besace.
Alors que la dryade avançait toujours, gagnant en vitesse, le reste du groupe la vit lever la tête et pousser un hurlement strident, à gorge déployée, alors que de nouvelles couches d’écorce prenait forme sur ses membres, comme pour les renforcer. Son cri trouva écho beaucoup plus loin dans la forêt, sous la forme d’un grognement caverneux, presque minéral, de craquements de branches, et de pas lents et lourds.
Alors qu’Emelda, en fière templière, se mettait en garde face à la dryade qui était encore à plusieurs mètres, le nain Dagnai lui posa doucement une main sur le bras pour la faire reculer de quelques pas.
« Je m’en occupe. » murmura-t-il en épaulant son arbalète.
Le carreau qu’il décocha après une rapide visée vola mollement vers la dryade et passa à un bon mètre à côté d’elle, si bien qu’elle n’y prêta aucune attention et commença à courir pour charger. Le nain resta bouche bée devant son échec et Emelda passa devant lui en grognant, non sans lui jeter un regard dédaigneux. La dryade se jeta sur elle, mais la templière para habilement l’attaque du plat de sa lame, repoussant la créature d’un rude coup d’épaule avant de la décapiter d’un coup de taille puissant.
S’avançant vers un des feux follets, le bûcheron Sven le vit disparaître dans une brume bleutée similaire à celle vue par Brutog, mais aucun cristal n’apparut.
« Ces choses n’ont pas leur place ici, faisons-les disparaître. Sembla-t-il implorer en se retournant vers Jelsen.
— Il me semble qu’on a plus urgent à régler, maugréa le répurgateur en indiquant d’un signe de tête la direction depuis laquelle les pas lourds résonnaient toujours. Dans tous les cas, ces machins-là me plaisent pas non plus. »
Il fit quelques pas vers un premier feu follet qui disparut à nouveau dans une brume bleue, et s’avança vers un autre mais fut pris de vitesse par Emelda qui le fit disparaître de la pointe de sa lame avant de se diriger vers un des deux restants.
Des craquements d’écorce se firent à nouveau entendre, et un long bras de bois surgit d’un arbre et agrippa Dagnai par le pied, le faisant lourdement chuter et le traînant au sol vers le tronc alors qu’un visage d’écorce aux dents faites d’échardes pointues y prenait forme. Un cri étrange se fit entendre, mêlé de colère et de panique, et le groupe vit Ghetno se jeter sur le visage sylvain et lui asséner plusieurs coups violents avec l’un de ses pièges à loup, vociférant d’une voix étranglée qui couvrait le bruit de petit bois que l’on casse à coups de marteau :
« Un arbre, s’pas censé bouger, ni boulotter les gens ! Satanée forêt ! »
Le spectacle dura quelques secondes, jusqu’à ce que la bras de la dryade relâche sa prise sur le nain et tombe inanimé.
La troupe se regroupa face aux deux derniers feux follets, toujours menacée par les pas lourds se rapprochant au loin. Se relevant avec l’aide de Sven, Dagnai aperçut un objet blanc derrière une souche et en informa le bûcheron qui mit ainsi la main sur un parchemin rédigé dans une langue inconnue du groupe.
Les yeux de Brutog se posèrent sur une lueur vacillante, semblable à celle des feux follets, mais placée plus loin, dans une zone qui semblait contenir davantage d’arbres morts. L’ogre leva son marteau et chargea en grognant :
« Là-bas, c’est leur chef ! »
Les autres membres du groupe n’eurent pas le temps de protester, à peine eut-il dépassé les deux feux follets restant, que l’ogre se retrouva enveloppé d’une brume bleue semblable à celle des entités immatérielles, mais plus épaisse, qui l’entoura rapidement et se dissipa tout aussi vite, laissant l’endroit vide, sans trace de Brutog, alors qu’au loin la lueur restait visible.
Le reste du groupe en fut abasourdi, sentant monter la panique. Emelda plaça ses mains en porte-voix et appela le nom de l’ogre à plein poumon. Un hurlement rageur lui répondit dans le dos du groupe qui se retourna en sursautant pour voir Brutog, à nouveau avec eux, le visage crispé par la colère. La templière s’inquiéta de son état :
« Ca va mon ami ? Que s’est-il passé ?
— Raaaaaaah !!!!! J’sais paaaaaas !!!! Hurla l’ogre. J’étais là-bas, et maintenant j’suis là ! Raaaah !!! C’est la faute à ces trucs, ça !!! »
Il leva aussitôt sa masse et se jeta en hurlant sur l’un des deux feu follets restant qui s’évanouit aussitôt. Brutog ne se formalisa pas de la disparition et abattit à plusieurs reprises sa masse là où l’entité se tenait quelques secondes plus tôt.
Devant le spectacle, Ghetno se pencha à l’oreille de Dagnai qui rechargeait son arbalète :
« Dites, l’ami… Votre collègue là, il serait pas en train de virer zinzin ?
— Non, non, répondit le nain d’un ton las. Il est contrarié, rien de plus.
Emelda recula à hauteur de Jelsen et lui jeta un coup d’œil inquiet :
— Téléportation ?
— On dirait bien… Grogna-t-il dans une mou de dégoût. Ça ne me plaît pas… J’aime pas beaucoup ce qui est en train de se passer. Avec le gros truc qu’on entend se rapprocher, on a pas le temps pour les mystères, va pas falloir trop réfléchir et y aller au culot.
— On tente jusqu’à ce que ça passe ?
— Ou jusqu’à comprendre. »
Le répurgateur saisit fermement son arquebuse et se mit à courir en direction de la lueur au loin. Il passa à côté du dernier feu follet et se trouva immédiatement pris dans une épaisse brume bleue qui le fit disparaître et réapparaître là où il se tenait juste avant sa course. La templière l’interrogeât du regard.
« Je ne sais pas, souffla-t-il en haussant les épaules. Je me sens normal. Je ne crois pas que ça ait d’autres effets que de nous déplacer. Mais c’est problématique… Peut-être qu’une fois le dernier feu follet disparu le maléfice sera levé. »
Un grognement ogre de satisfaction les informa que Brutog venait de se charger de cette tâche. Mais aussitôt six autres feux follets apparurent, les encerclant à nouveau.
« Oubliez les feux follets ! Ordonna Emelda pour haranguer la troupe. La chose qui arrive est bien plus dangereuse, et nous ne pourrons pas lui échapper. Ne cédez pas à la panique, et préparez-vous à vous battre ! »
A l’écoute de ces mots, tout courage quitta Ghetno qui prit ses jambes à son cou en direction d’un feu follet, mais il chuta lourdement dans un vieux piège abandonné constitué d’un profond trou dans le sol, heureusement sans blesser autre-chose que son ego.
Les branches des arbres à proximité du groupe s’écartèrent dans de multiples craquements, laissant la place à l’origine des bruits de pas. Un immense golem apparut, amalgame difforme de roches et de troncs haut de quatre mètres, ses pas lourds faisant trembler le sol autour de lui. Dans son abdomen un cristal gros comme une tête brillait d’un éclat vert malsain.
Dagnai, le plus proche de la zone d’irruption du golem, tenta de fuir mais ses pas le firent dépasser les feux follets et la brume bleue le téléporta aussitôt avec ses compagnons, au centre du cercle. Epaulant son arbalète, il beugla à l’intention de ses compagnons :
« Impossible de fuir, on est coincés ici avec ce monstre ! »
Son tir, précipité, effleura le golem sans le blesser.
Une bûche apparut dans les airs et vola droit sur le golem, tournoyante, chargée des intentions les plus belliqueuses qu’une bûche puisse avoir. Le lancé de Sven frappa le golem à ce qui semblait être sa tempe avec assez de force pour lui faire faire un pas de côté et ébrécher la pierre dont il était constitué. La bûche rebondit et tomba à quelques mètres, malheureusement au-delà des feux follets, si bien que le bûcheron fut téléporté au centre du cercle lorsqu’il voulu la récupérer, ce qui lui déplut fortement.
Visiblement remonté contre Sven, le golem le prit pour cible et s’avançât, piétinant un feu follet qui disparut aussitôt. Jelsen en profita pour prendre une visée appliquée avec son arquebuse et tirer là où la bûche avait blessé le golem. Le tir frappa de plein fouet et fendit encore davantage la pierre.
Sentant ses armes inutiles face à une telle créature, Emelda, avait remarqué que le cercle de nouveaux feux follets s’était formé en prenant pour centre le dernier feu follet dispersé, elle entreprit donc de faire disparaître ceux actuellement présents dans un ordre qui permettrait de faire avancer le cercle, de manière à progresser et à éviter tout corps à corps direct avec le golem. Elle venait d’en faire disparaître un premier lorsqu’elle vit Ghetno sortir de sa fosse, et se figer en voyant le golem.
« Mais… Bon sang… Les cailloux non plus s’pas censé bouger !!! » Bégaya-t-il en prenant la fuite. Fuite qui l’amena au-delà des feux follets et le téléporta donc au centre du cercle, tout près du golem.
Peu soucieux de l’effervescence causée non loin de lui par le golem, Brutog se concentrait sur ses proies les plus proches et les plus contrariantes, les feux follets. Ainsi il en dispersa deux dans une charge pleine de colère, avant d’être une nouvelle fois entouré d’une épaisse brume bleue. Lorsque celle-ci se dissipa, il se retrouva seul et fut frappé par le calme et le silence environnant. Rien de plus que le bruit de quelque brise dans les branches. Une créature lumineuse apparut, telle qu’il n’en avait encore jamais croisé. Elle ressemblait à un gros lézard à la queue enroulée sur elle-même, et voletait avec agilité à l’aide de larges ailes de libellules placées sur son dos. Elle brillait d’une lueur bleue virant parfois au vert. Après avoir voleté deux ou trois tours autour de lui, comme pour l’étudier, elle se posa sur une branche à hauteur de sa tête et le regarda de longues secondes de ses yeux globuleux. Brutog, s’impatientant, commençait à songer écraser la créature d’un rapide coup de massue, mais se ravisa lorsqu’il l’entendit s’éclaircir la gorge :
« Hum hum… Bienvenue en mon monde, aventurier. Annonça la créature d’une voix cristalline, étonnamment dotée d’un léger accent. Je suis joueur et te propose donc un deal : si tu réponds à mon énigme, je libérerai ton esprit et tu pourras continuer ta route avec tes compagnons. Ou du moins tenter de la continuer… Mais si tu échoues, j’offrirai ton esprit à mon maître, qui trouvera sans difficulté à mettre en valeur ton potentiel. Tu n’y perdrais pas au change, à ce que j’ai vu…
— Et si je refuse ? Grogna l’ogre.
— Tu erreras ici, sans but, jusqu’à être emporté par la folie. Et à ce moment-là, nous disposerons de toi. Ne crois-tu pas qu’il vaut mieux jouer !? Ricana le lézard. Nous préférerions tous que tu joues ! »
Brutog jeta un coup d’œil à la ronde, recherchant le “nous” dont parlait le lézard, sans voir âme qui vive parmi les troncs et rochers. Il souffla longuement et acquiesça d’un hochement de tête :
« D’accord, envoie l’énigme.
— Excellent ! Alors écoutes bien :
Mon premier se trouve à la campagne.
On presse mon second à la ferme.
Les oiseaux fabriquent mon troisième.
Mon quatrième est un pronom de votre langue.
Mon tout se trouve dans ma forêt.
Alors !?
— J’ai droit à combien de réponses ? Questionna l’ogre d’un air méfiant.
— Ah… Ben une seule !
— Oh ben non ! C’est nul !
— Comment ça c’est nul !?
— Ben oui, y’a plein de choses dans ta forêt ! Me faut plusieurs chances pour trouver ce dont tu parles.
— Non, mais… Comment dire…
— Comment je peux deviner en un seul coup ce dont tu parles !? Ça peut autant être un arbre qu’une feuille…
— Oui, c’est le principe, mais tu oublies le reste de…
— …qu’une branche, qu’une pierre, que de la mousse…
— Houlà, d’accord, donc là tu ne m’écoutes même pl…
— …qu’un renard, qu’un buisson, qu’un lézard débile…
— Bon c’est pas gagn… Attends, quel lézard déb…
— …qu’un piège, que des champignons, qu’une clairière, que…
— STOOOOP !!!! C’est bon ! Stop, arrêtes ! C’est bon t’as trouvé ! Tais toi et disparais !
— Ah c’était une clairière !? s’étonna l’ogre alors qu’une épaisse brume bleutée prenait forme autour de lui.
— Mais non, C’était un champignon !!! Champ ! Pie ! Nid ! On ! C’est pas compliqué pourtant !!!!
Beugla le lézard, s’emportant pour de bon face à un Brutog qui disparaissait peu à peu dans la brume.
— Mais j’en sais rien moi ! C’est pas clair ton jeu là ! Sale lézard de mes… S’étouffa la voix de l’ogre dans la brume de téléportation.
— Et ben… Souffla le lézard ailé. Bien content qu’il ai réussi, j’aurais pas voulu l’avoir dans les pattes celui-là. »
La réapparition de Brutog auprès de ses amis s’accompagna de l’apparition d’un nouveau cercle de feux follets, au grand dam d’Emelda qui vit sa théorie s’effondrer, un feu follet étant encore présent au moment de la formation du nouveau cercle. Elle s’étonna néanmoins d’entendre l’ogre hurler des propos rageurs et incompréhensibles au sujet de lézards et de champignons.
Dans un balayage rageur d’un de ses bras, le golem heurta de plein fouet Jelsen, l’envoyant valser et heurter un arbre non loin. Le répurgateur sentit ses côtes se briser sous la violence du choc. Ayant rechargé, Dagnai tira un nouveau carreau sur le golem, là encore sans effet.
« Pas mon jour… » Maugréa le nain en serrant les dents, alors que Sven chargeait le golem au corps à corps, mais se faisait à nouveau téléporter en sortant du cercle nouvellement formé. Vexé, il jeta son dévolu sur un feu follet en le faisant disparaître.
Reprenant ses esprits, le répurgateur roula sur lui-même pour sortir du cercle, sachant qu’en étant téléporté en son centre il s’éloignerait du golem. La manœuvre réussit et il rejoignit ainsi ses compagnons en crachant du sang. Ghetno ayant lui aussi compris que ces téléportations pouvaient leur permettre de s’éloigner du golem, s’empressa de confectionner un des pièges dont il avait le secret, utilisant du lierre pour contraindre des branches hautes à se tordre, puis se jeta hors du cercle et atterrit en son centre, aidé par la téléportation devenue habituelle.
Se retrouvant à côté d’un Jelsen en sale état, il vit sur un côté Emelda courir après les feux follets pour les faire disparaître et déplacer le cercle. Reportant son attention sur le répurgateur, il commença à farfouiller dans son pochon et en sortit un morceau de jambon dans lequel il tailla une épaisse tranche, qu’il tendit au blessé :
« Pas l’air d’aller mon gars ! Tenez, croquez ça, ça vous fera du bien !
— C’est pas le moment de casser la croûte ! grogna Jelsen entre ses dents serrées par la douleur.
— C’est pas le moment d’passer l’arquebuse à gauche non plus, alors croquez qu’j’vous dis ! Ordonna le vieux moustachu, débouchant en même temps une bouteille dont le bouchon sauta avec un bruit caractéristique. Et mettez une lichette de mon jaja maison par-dessus, pour faire glisser. M’en direz des nouvelles. »
Le chasseur de vampire s’exécuta à contrecœur, non sans surveiller la progression lente et chaotique du golem. Le jambon était salé à l’excès et le breuvage un vrai tord-boyau, mais l’ensemble dégagea une chaleur réconfortante dans son corps, qui endormit la douleur et lui permit de se relever en grognant.
« Alors ? L’est bon hein, mon jaja !? Ça sert à tout ça, une vrai merveille ! J’en mets sur mes laitues aussi pour faire crever les limaces, c’est radical ! »
Plus loin, Brutog continuait de chasser les feux follets, mais le dernier qu’il dissipa provoqua l’apparition d’un nouveau cercle constitué cette fois-ci de cinq feux follets, accompagnés d’une créature pas plus grande qu’un enfant, aux membres griffus, et au bec d’oiseau, dont les couleurs changeaient perpétuellement. Le sang de Jelsen se glaça en apercevant la chose.
« Bordel, un démon… Qu’est-ce que j’aime pas les démons ! » Grogna-t-il.
Un craquement d’écorce se fit entendre à côté de Dagnai, qui, sachant désormais ce que présageait ce bruit, se rua sur le tronc concerné et asséna un puissant coup de hache à la tête de dryade qui en émergeait, la tuant sur le coup. Il profita de sa proximité avec le bord du cercle actuel pour le traverser et être téléporter parmi ses compagnons.
Pendant ce temps, à grand renforts de cris et de jets de pierres, Sven attira le golem droit sur le piège concocté par Ghetno. Lorsque celui-ci se déclencha, une énorme branche se déplia dans un claquement et vint percuter le golem sur ce qui semblait lui servir de tête. La branche se brisa sous la force du choc, mais les craquelures dans la pierre de la créature prirent encore plus d’ampleur. Le bûcheron profita d’avoir sonné le golem pour se jeter hors du cercle et être téléporter avec les autres aventuriers, alors qu’Emelda prenait position pour bloquer le golem autant que possible et que Jelsen rechargeait frénétiquement son arquebuse, Ghetno le poussant à reprendre du jambon et du jaja pour se remettre un peu plus d’aplomb. Le répurgateur fit moins la fine bouche cette fois-ci et s’envoya une pleine rasade de la liqueur, alors que le paysan préparait un nouveau piège, similaire au précédent.
Le golem jeta son dévolu sur Emelda, à qui il asséna un violent coup de pied qui l’envoya sur un feu follet qui se dissipa. Elle se traîna frénétiquement hors du cercle et fut téléportée parmi ses compagnons. Voyant la plupart des membres de la troupe réunis au même endroit, le golem se rua sur eux dans une course effrénée (pour un golem), et déclencha le dernier piège de Ghetno, tout juste terminé. C’est alors deux branches qui vinrent s’abattre sur la tête du golem, l’une par le bas, l’autre par devant, et qui firent éclater en morceaux la tête de la créature, qui s’écroula sur elle-même dans un amas de pierre et de bois, comme un mur soudain privé de son mortier.
Assistant à la scène mais n’y trouvant guère d’intérêt, Brutog continuait son raid contre les feux follets, escaladant cette fois un gros rocher, et se jetant sur un feu follet à proximité, avant de se ruer sur le démon qui se joua de son attaque en lui passant entre les jambes dans un ricanement moqueur. Dagnai de son côté dissipa un autre feu follet et y gagna un cristal bleu.
C’est le moment que choisit une nouvelle dryade pour prendre à parti Sven, le blessant gravement à la jambe et le contrariant assez pour que celui-ci la tue à coups de poings, avant de s’en prendre à un feu follet qui laissera tomber un nouveau cristal bleu en se dissipant. Sans mot dire, Jelsen entreprit de fouiller les décombre du golem terrassé, écartant les éboulis du bout de sa botte, jusqu’à retrouver le cristal qu’il avait aperçut sur la créature. Celui-ci gisait maintenant au sol, brisé en une douzaine de morceaux que le répurgateur ramassa et rangea discrètement dans sa besace, avant de retourner vers les siens.
Amochée mais remontée, Emelda prêta main-forte à Brutog, toujours aux prises avec le démon, qu’elle parvint à terrasser après quelques passes d’armes. Mais, au grand désarroi de la templière, la disparition du démon provoqua l’apparition de six nouveaux feux follets, formant un nouveau cercle.
« On doit trouver la source, on en sortira jamais sinon. » Indiqua-t-elle alors que Ghetno et Dagnai faisaient déjà disparaître les premiers feux follets. Brutog les imita, mais se trouva entouré de brume bleue lorsqu’il fit disparaître son second feu follet, et cela sans être sorti du cercle.
Le temps d’un clignement de paupières, il n’était plus dans la forêt. La salle était deux fois plus longue que large, pavée de grandes dalles de pierres, les murs étaient de pierre également. Aucune ouverture vers l’extérieur, mais une lumière diffuse dont il ne parvenait pas à trouver la source car aucune torche ne flambait. Il n’était pas seul dans la pièce. Au fond, une créature déambulait par petits bonds, avec un rire moqueur. Un nouveau démon, similaire au précédent mais plus gros. Grand comme un jeune homme. Brutog se mit en garde, serrant fermement le manche de sa masse. Il n’allait pas charger, il avait vu ce que cela donnait sur le démon précédent. Il allait laisser le démon faire le premier pas, et se tiendrait prêt à frapper au moment opportun. Le démon commença à faire des petits bonds en direction de l’ogre, bonds de plus en plus longs au fur et à mesure qu’il approchait, jusqu’à se jeter sur l’aventurier qui chercha à lui asséner un violent coup de masse, que le démon évita sans mal d’un bon de côté.
« Il est où le gros ? Beugla Jelsen.
— Aucune idée, répondit Emelda quelques mètres plus loin. Il était par là il y a quelques secondes.
— Pff… Il est costaud, mais ingérable. Grogna le répurgateur.
— C’est un ogre, ricana Dagnai. Qu’est-ce qui pourrait lui arriver !?
— Venez voir ! Appela Emelda. »
Les deux aventuriers la rejoignirent au trot, seulement dérangés par une dryade surgissant de son tronc au passage de Jelsen, qui l’occis d’un coup d’épée bien placé.
Rejoins par Ghetno qui tendit un morceau de jambon au nain qui croqua immédiatement dedans, et par Sven après qu’il ait ramassé son cristal, ils trouvèrent Emelda les bras croisés, l’épée plantée dans le sol meuble de la forêt, regardant une boule de brume bleue flottant à un mettre du sol. De la taille d’un feu follet, la boule de brume semblait se dissiper et se générer sans cesse, restant sur place dans les airs.
« Il était là. Dit Emelda en montrant la brume du menton. Enfin, un feu follet était là, et j’ai vu Brutog se diriger vers lui. Et juste après, plus rien, juste… “ça”. ».
Elle saisit distraitement la poignée de son épée et en plongea la pointe dans la brume qui s’émancipa aussitôt, remontant le long de l’arme puis du bras de la templière à une vitesse fulgurante, jusqu’à l’engloutir et la faire disparaître pour de bon avant de reprendre sa forme précédente.
« Bordel, j’aime vraiment pas ça… » Souffla Jelsen.
La salle était vaste, faite de pierre. La solidité de la pierre sous ses bottes troublait Emelda qui s’était habituée au sol meuble de la forêt.
« Gaffe, il est rapide. »
La voix de l’ogre ramena la templière à la réalité. Elle trouva Brutog derrière elle, à quelques mètres, tenant un démon à distance du bout de sa masse, tendue devant lui. Emelda empoigna son arme, fit quelques moulinets dans le vide pour s’échauffer puis se mit en position et avança prudemment pour rejoindre le démon, un sourire au coin des lèvres :
« Ça ne le sauvera pas longtemps. »
C’est le moment que choisit le démon pour mener plusieurs assauts contre l’ogre, trop rapides pour qu’il parvienne à se défendre correctement, se contentant d’encaisser, jusqu’à ce que de la brume n’apparaisse, l’entoure, et le fasse disparaître de la pièce.
Dans la forêt, la boule de brume grossit à une vitesse impensable avant de vomir Brutog puis de reprendre sa taille originelle. L’ogre grogna d’une moue contrariée :
« Sale démon, trop rapide. Faut aider Emelda. »
Dagnai n’attendit pas davantage de précision, il avança dans la brume qui l’engloutit et le fit disparaître, Sven le suivit.
Sven semblait ébahi. Entré dans la brume les mains vides, il se retrouvait dans cette salle pavée de pierre avec sa précieuse bûche dans les mains, alors qu’il la croyait perdue lors du combat contre le golem. Dagnai le tira de ses songes d’un coup de coude, pointant de sa hache le démon qui, à quelques mètres d’eux, faisait des cercles autour d’Emelda, sautillant et ricanant. Un sourire au coin des lèvres, le bûcheron fit quelques pas pour se donner de l’élan et jeta violemment sa bûche en direction du démon qui, percuté de plein fouet, fut projeté sur le côté et s’écroula au sol où il git quelques instants, avant de se relever sur ses pattes griffues, une lueur mauvaise dans l’œil. Il jeta un regard à la bûche qui gisait à quelques mètres de lui, et celle-ci disparut dans un nouveau nuage de brume bleue. Y voyant une occasion de frapper, Emelda se jeta sur la créature, le balayant d’un puissant coup de taille. Le démon l’esquiva sans difficulté en sautant par dessus, en profitant pour lacérer de ses griffes le cuir des gants de la templière qui grogna sous la douleur. Elle attaqua néanmoins une seconde fois, faisant un pas en avant pour se rapprocher de la bête pour lui asséner un coup de pommeau, mais son adversaire se glissa derrière elle avec prestance, lui griffant l’arrière de la cuisse droite. Emelda rugit de rage, maudissant le démon d’être si vif, mais déjà un nuage de brume bleue l’entourait pour la faire disparaître.
Non loin de Jelsen, des troncs craquèrent, leur écorce libérant de nouvelles dryades. Sans mot dire il s’avança au contact de la boule de brume bleue et se laissa enveloppé. Aussitôt eut-il disparu qu’Emelda jaillit de la brume, les dents serrées et le regard plein de colère. Ghetno la saisit immédiatement par le bras pour l’attirer devant lui et se cacher derrière elle, en tremblant :
« Les choses des arbres ! Elles arrivent ! »
Emelda observa les deux dryades qui avançaient vers elle d’un pas décidé. Amoindrie par ses blessures elle prit une posture défensive et appela l’ogre à l’aide :
« Brutog ! Par ici ! Y’a des bûches à fendre ! »
Mais déjà les premiers coups de griffes sylvestres pleuvaient sur la templière qui faisait tant bien que mal barrage entre les dryades et un Ghetno tétanisé par les craquements qu’il entendait provenir de plusieurs arbres tout autour d’eux.
L’appel d’Emelda décida l’ogre à faire demi-tour. Parti explorer la forêt à la recherche de quelque-chose à cogner, il ne su résister à la perspective de broyer un adversaire, surtout s’il s’en prenait à la templière. Alors qu’il rebroussait chemin, un craquement d’arbre l’alerta sur sa droite et il eut juste le temps de protéger son visage lorsqu’une main faite de branche jaillit du tronc à côté duquel il passait. Maintenant refermée sur son poignet droit, elle le tenait prisonnier et l’avalanche de coups qu’il faisait pleuvoir de sa main libre sur le tronc n’y changea rien, surtout lorsqu’une seconde main jaillit et l’agrippa avec force au niveau de son coude gauche. Ces mains sylvestres étaient larges et l’écorce qui les couvrait épaisse, comme si la dryade à qui elles appartenaient était vieille de plusieurs millénaires. Malgré toutes ses tentatives, Brutog ne parvenait pas à échapper à l’étreinte de la créature. Ne pouvant échapper à la dryade, il décida de la faire venir à lui.
Prenant appui sur le tronc avec le pied, l’ogre tira de toutes ses forces sur les bras de bois. Si fort que sa vision se troublait par moments. Mais entendre de léger craquements à l’intérieur du tronc et voir les bras ennemis s’extraire de quelques millimètres à chacun de ses efforts le galvanisait et il continua de tirer de la sorte durant ce qui lui parut une éternité. Jusqu’à ce que la tête de la dryade jaillit enfin du tronc, massive, le regard mauvais empli de colère et les dents aiguisées prêtes à mordre les chairs. Brutog saisit immédiatement cette occasion et se jeta en avant, assénant un coup de casque si violent à la dryade que tout l’arbre en trembla. L’étreinte ne se relâchant pas il renouvela l’assaut une seconde fois, une troisième, une quatrième… Entendant à chaque fois les bois craquer un peu plus fort contre l’acier de son heaume. Jusqu’à ce que la prise se relâche mollement et qu’il sente les doigts d’écorce de son adversaire glisser de ses bras.
Se redressant et étirant sa nuque douloureuse, l’ogre observa le visage éclaté de la dryade, encore visible à la surface du tronc, et le gratifia d’un crachat avant de reprendre sa course vers la templière dont les échos du combat lui parvenaient toujours.
« Ça pue le démon ici ! » Geignit le répurgateur en arrivant dans la salle de pierre. Dagnai et Sven, à quelques mètres de lui, l’entendirent et coururent vers lui, mais n’eurent pas le temps de le rejoindre avant le démon qui s’était déjà élancé à pleine vitesse. Jelsen le vit arriver et grogna, pris d’une colère irrépressible :
« Que je n’aime pas ces putains de démons… » gronda-t-il sans desserrer les dents alors que la créature se jetait sur lui. Mais les appuis du répurgateur étaient déjà bons et sa prise ferme sur le canon de son arquebuse, si bien qu’il accueillit le démon d’un magistral coup de crosse en pleine face, qu’il accompagna de toute sa force, faisant tomber le démon à la renverse et finissant de lui éclater le crâne sur le sol pavé de la pièce. Alors que la dépouille était encore prise de spasmes, une brume bleue enveloppa les trois héros pour leur faire quitter la salle.
Les coups tombant de toute part sur son armure, Emelda fatiguait de plus en plus à repousser les assauts. Se refusant à prendre une posture offensive pour garantir la protection de Ghetno, elle n’avait d’autre choix que d’encaisser les coups qu’elle ne parvenait à parer que maladroitement, se faisant systématiquement déborder par une des deux dryades si elle prenait l’autre à partie. Des pas lourds sur sa droite l’avertirent de l’arrivée de son renfort, et l’éclatement de l’abdomen d’une dryade à sa rencontre avec une grosse masse cloutée ogre lui confirma l’arrivée de Brutog. Elle profita de la surprise de la seconde dryade pour se désengager et la repousser de plusieurs pas d’un puissant coup d’épaule. Un tonnerre détona et la tête de la créature vola en éclats. Emelda jeta un oeil par-dessus son épaule et eut le plaisir de voir, entourés de restes de brume bleue, Dagnai, Sven et Jelsen qui commençait déjà à recharger son arquebuse encore fumante.
« Tout le monde va bien ? S’enquit-elle.
— C’est surtout pour toi qu’il faut s’inquiéter. Répondit Dagnai, s’approchant d’elle pour constater les dégats causés sur son armure par les derniers combats.
— Je vais bien. Des égratignures. Mais d’autres dryades arrivent, on les a entendu sortir. Et on se retrouve à nouveau bloqués dans un cercle de feux follets… Soupira-t-elle. C’est donc sans fin !? »
De derrière un tronc surgit une nouvelle dryade, se jetant sur Sven elle lui lacéra profondément le dos. Une grimace sur le visage, le bûcheron se retourna pour faire face à son agresseur mais la créature le balaya avec vigueur, l’envoyant au sol, inconscient. Jelsen se jeta sur le dos de la bête et l’embrocha de son épée en la maudissant. L’entraînement militaire d’Emelda refit surface et c’est sans s’en rendre réellement compte qu’elle fit résonner ses ordres d’une voix ferme :
« Brutog, occupes-toi de Sven ! Dagnai, Ghetno, occupez-vous des feux follets ! Jelsen, avec moi ! On les couvre ! »
S’ensuivirent de longues minutes de chaos durant lesquelles la templière et le répurgateur se jetèrent au corps à corps contre plusieurs dryades, pendant que Dagnai et Ghetno couraient, sautaient et rampaient pour éteindre les feu follets tout en évitant les coups, alors que Brutog, en bon ogre, réveilla Sven d’une gifle, avant de se mettre à graviter en électron libre entre les feu follets et les dryades, gardant tout de même à l’esprit la sécurité du bûcheron. Puis Dagnai disparut dans une épaisse brume bleue.
Encore une salle de pierre. Plus longue, ou moins large que la précédente, dur à dire. Toujours cette lumière dont on ne trouvait pas la source. Le nain scruta la salle quelques instants, attendant l’ennemi, mais rien ne vint. Il était seul. Après avoir avancé d’un ou deux pas, il aperçut les gravures au sol. Le centre de la pièce était pavé de larges pierres carrées, sur chacune d’elles une lettre était gravée. Il soupira. Le piège classique du mot à épeler sur les dalles. Mais quel mot ? Il eut beau chercher, aucun indice à portée, nulle part. Il s’accroupit et prit quelques instants pour réfléchir. Ne voyant aucun moyen de résoudre cette énigme, il se concentra sur le contexte. Beaucoup de magie avait été mise en œuvre lors des derniers évènements. Beaucoup de téléportations et de présences démoniaques. De la magie maligne et sournoise à n’en pas douter. Une idée se dessina dans son esprit, selon laquelle les dryades et le golem n’étaient pas liés aux feux follets et aux démons. Il lui sembla évident qu’ils faisaient face à deux adversaires différents. Les esprits de la forêt voulaient leur mort à n’en pas douter, mais cela ne semblait pas être le cas pour les manifestations de magie. Quelqu’un ou quelque-chose les utilisait pour d’autres fins. Une telle quantité et puissance de magie aurait pu leur ôter la vie depuis bien longtemps, sans qu’ils ne puissent rien y faire. Le nain fronça les sourcils en se relevant :
« Tu joues avec nous… Tu nous utilises pour te divertir, saleté ! Cracha-t-il entre ses dents. Qu’importe que j’échoue à cette épreuve, il ne m’arrivera rien car tu ne t’es pas encore lassé de nous. »
Les poings serrés, il avança jusqu’aux dalles marquées et sauta à pied joint sur la première qui se présentait. La brume bleue se manifesta et le submergea.
« Une foutue énigme ! Beugla Dagnai à l’attention de ses compagnons en désignant du doigt la boule de brume dont il émergeait tout juste. Il y a un mot à trouver, j’vois pas lequel. Mais ça semble sans risques, la pièce est vide et échouer nous ramène ici ! »
Sven, toujours mal en point et à la recherche d’une zone moins dangereuse que la forêt en cet instant précis, tituba vers la brume et la laissa le téléporter. Jelsen, l’y suivi trop vite pour voir Ghetno courir vers Emelda en bégayant :
« Quelque-chose approche !!!
— Quoi donc ? Demanda la templière
— J’sais pas ! C’est gros ! Ça rampe et ça marche en même temps. Geignit le paysan en cherchant une cachette.
— Tu n’as pas vu ce que c’était !?
— Non non non, j’ai vu la silhouette, j’ai pas voulu en savoir davantage !
— Bonté divine… Mais ne te cache donc pas derrière un tronc alors que la forêt est infestée de dryades !!! Prépares plutôt des pièges !
— Ah ah pour sûr non, je…
— Tout de suite ! C’est un ordre ! »
« Tu ne vois pas non plus ? » Demanda Jelsen. Sven resta silencieux et se contenta de secouer la tête en observant les dalles.
« Sans indices ça va pas être simple… » Rajouta le répurgateur pour lui-même.
Les deux aventuriers restèrent de longues minutes devant les dalles, à observer les lettres gravées en réfléchissant aux possibilités, sans que l’idée ne vienne.
Une brume bleue se matérialisa soudain derrière eux et Brutog en émergea, grognon, les invectivant derechef :
« Faites quoi !? Faut des bras là-bas, la baston continue.
— On sait bien Brutog, mais on doit résoudre cette énigme, sinon on risque de ne jamais sortir de cette forêt. Expliqua patiemment Jelsen.
— Une énigme !? C’est facile les énigmes.
— Ah ouais !? Répondit distraitement Jelsen, à nouveau concentré sur les dalles.
— Ouais ! La mienne j’lai résul… résélu…rosél… résol… J’l’ai réussie comme ça ! S’exclama l’ogre en faisant claquer ses doigts.
— Quoi !? Comment ça la “tienne” ?
— Ouais, celle du lézard bizarre tout à l’heure.
— Pardon !? Tu as eu une énigme lors d’une de tes téléportations ?
— Et oui ! C’est pas que pour vous les énigmes, hé ! Réprima Brutog.
— D’accord, passons… Et tu te souviens de la solution à ton énigme ?
— Ben le lézard il a dit que c’était “champignon”…
— “Champignon”, hein…? Murmura Jelsen en faisant à nouveau face aux dalles, pensif.
— Mais moi j’suis sûr qu’c’était “clairière”. »
« Il en arrive d’autres ! S’écria Emelda. Bougez-vous Ghetno ! Brutog, où es-tu ? »
Mais sans qu’elle ne le voit, l’ogre avait déjà sauté à pieds joints dans la brume bleue qui avait au préalable engloutie ses autres compagnons. La templière, fulminante, se reprit pour ne pas perdre son sang froid et se concentra sur les dryades qui avançaient vers elle. Dagnai, finissant de recharger, épaula son arbalète et lâcha un carreau après une visée appliquée. Le carreau passa plusieurs dizaines de centimètres au-dessus des dryades. Le regard noir que lui lança Emelda le rendit tout penaud :
« J’la ferais réviser au prochain village… Dit-il tout bas en rangeant son arbalète.
— Si on en sort vivants, j’apprécierais assez oui ! »
« D’accord, je crois que je tiens quelque-chose. S’exclama Jelsen. On doit tenter le mot “mushroom”, les lettres sur les dalles le permettent, et c’est un mot employé pour parler des champignons dans le Necrofongicon… Je ne vois que ça pour le moment… »
Sous les yeux de ses deux compères, il s’avança vers une dalle gravée d’un grand M et posa délicatement un premier pied dessus, puis un second. Voyant que rien ne se passait, il souffla longuement pour se détendre et s’avança sur une dalle voisine, marquée d’un U. Sans résultat.
« Ça doit être ça ! Suivez-moi sur ces mêmes dalles, n’en touchez aucune autre. »
Le groupe progressa ainsi de lettre en lettre, jusqu’au R, où le répurgateur prit une pause.
« Pourquoi on s’arrête ? Questionna Brutog, impatient.
– Il y a deux O, comment savoir sur lequel passer en premier ?
– Sans essayer on ne saura jamais. » Répondit sèchement Sven en doublant Jelsen pour poser un pied sur la dalle O présente à sa gauche. Une brume bleue se matérialisa et le téléporta immédiatement.
Le répurgateur réagit au spectacle par un simple haussement d’épaule, et marcha sur l’autre dalle O sans être téléporté, puis sur la dalle M. Sitôt mit-il le pied de l’autre côté des dalles gravées que l’ogre et lui furent entourés de brume bleue et téléportés dans la forêt.
A peine matérialisés parmi les arbres, Emelda leur passa devant en trombe, traînant derrière elle un Ghetno qui, pris par le temps et la panique, s’efforçait d’installer des pièges de plus en plus rudimentaires. En passant, Dagnai saisit Sven pour l’aider et alerta ses deux autres compagnons :
« Ça arrive de partout et on ne voit plus aucun feu follet ! Vous avez sans doute réussi l’énigme, mais on doit décamper, c’est notre chance. »
Jelsen et Brutog leurs emboitèrent le pas, jetant des coups d’œil inquiets par-dessus leurs épaules.
Après une course de plusieurs minutes, ils croisèrent une route aux ornières si anciennes qu’elles avaient presque disparu.
« La vieille route… gémit Sven en se tenant les côtes. Elle nous fera sortir de la forêt, suivons-la. »
Il se dirigea sur sa gauche sans attendre la réponse du reste du groupe, qui prit parti de s’en remettre à lui et de le suivre. C’était sans compter sur Brutog qui chargea à travers le chemin, en direction de la lueur qu’il avait auparavant voulu attaquer, sans tenir compte du fait que sa première tentative d’assaut s’était soldée par une téléportation. Emelda tenta en vain de le stopper avant d’apercevoir elle aussi la lueur, qu’elle reconnut.
« Maudite forêt, on a tourné en rond… Vous autres, suivez la route et sortez tous de ce bois, je m’occupe de Brutog ! » Annonça-t-elle en se lançant entre les troncs d’arbre, à la poursuite de l’ogre.
Loin derrière eux, le déclenchement d’un piège claqua dans l’air et un long soupir, semblable à un souffle, se fit entendre, accompagné de craquements de branches et de frottements.
« Hâtons-nous de sortir d’ici, conseilla Dagnai. Cette chose se rapproche et je n’ai absolument pas envoie de voir ce dont il s’agit. »
De son côté, l’ogre, talonné par Emelda, arrivait enfin en vue de la source de lumière qui se révéla être un imposant feu follet, beaucoup plus gros que les précédents. En son cœur deux flammèches scintillaient d’une lueur particulièrement vive, semblables à un regard. Brutog ne s’en ému pas et se jeta sur l’apparition, lui assénant un violent coup de masse qui la traversa sans difficulté et la fit se dissiper en lâchant un cristal bleu qui tinta timidement en tombant au sol. Bien que sa victime fut immatérielle, l’ogre aurait juré avoir senti une certaine résistance contre son coup de massue, comme s’il avait frappé contre une rafale de vent particulièrement violente, ce qui le laissa perplexe une seconde. Seconde dont tira parti Emelda, qui, arrivée à son niveau, ramassa prestement la cristal en prenant son ami par le bras.
« Bien joué, tu l’as eu. Allez, rejoignons les autres et sortons d’ici, pour de bon ! » L’invita-t-elle à faire demi-tour. Contrarié que le cristal lui soit passé sous le nez, l’ogre dégagea brusquement son bras et partit au pas de course vers le chemin, assénant un petit coup d’épaule à la templière pour marquer son mécontentement. Celle-ci ne s’en formalisa pas et le suivit.
« Oh seigneur ça se rapproche… » Gémit Ghetno, soutenant Sven avec l’aide de Jelsen. L’état du bûcheron, par chance stable, retardait le petit groupe, l’empêchant de prendre purement et simplement ses jambes à son cou. Quelques soins accompagnés de repos le remettraient vite sur pied, mais pour le moment il n’était pas en état de fuir, ni de combattre. Dagnai, marchant quelques mètres devant, s’arrêta net et tendit le bras derrière lui pour alerter ses compagnons.
« Je vois l’orée du bois, mais il y a quelque-chose là bas… De la lumière.
— Continuons, proposa Jelsen, on s’en inquiètera quand on en saura davantage. »
Ils eurent à s’en inquiéter quelques dizaines de mètres plus loin, lorsque la nature des lumières se révéla. De nouveaux feux follets encadraient l’endroit où le chemin sortait de la forêt, et au centre un démon prenait place. Grand comme un homme, les muscles saillants, il possédait deux paires de bras et des tentacules aux extrémités crochus tombaient de ce qui semblait être sa tête. Ses petits yeux noirs brillaient d’une lueur mauvaise et sa mâchoire, hérissées de petites dents pointues, claquait dans le vide, comme si la créature trépignait. Jelsen rejoignit Dagnai en grognant et, sans quitter le démon des yeux, le saisit par le bras pour le faire se déplacer. Le nain protesta.
« Mais, qu’est-ce que tu… »
Gardant le silence, le répurgateur fit faire un quart de tour au nain, le gardant devant lui mais orientant son épaule droite vers le démon et ses feux follets, après quoi il posa le canon de son arquebuse sur le barda que son ami portait dans son dos, bien calé entre son sac et ses omoplates. Mettant un genou à terre, il épaula l’arme et prévint ses compagnons :
« Bouchez-vous les oreilles. Et toi, s’adressa-t-il au nain, ne bouges surtout pas. »
Conscient qu’une créature était déjà sur leurs pas, Jelsen visa à la hâte, retenant sa respiration au moment de presser la détente. Le coup de feu partit dans une explosion sonore et le plomb partit en sifflant en direction du démon, dans la tête éclata dans une gerbe mêlée de matière organique et de flammes. Le corps tomba lourdement au sol et se désagrégea à une vitesse surnaturelle, alors que les feux follets se dissipaient.
« Joli coup ! S’exclama Dagnai alors que Jelsen se redressait
— Z’aimez pas tellement les démons vous, m’est avis. Ricana Ghetno
— Pour sûr que non. Répondit Jelsen, un sourire satisfait au coin des lèvres. Allez, sortons d’ici ! »
Courant pour rejoindre leurs compagnons, Emelda et Brutog dépassèrent bientôt une forme mouvante qui semblait suivre la trajectoire du chemin en prenant soin de rester dans le bois, parmi les arbres. Des branches plantées en elle et les cordages qui en dépassaient témoignaient des ennuis que la chose avait eu avec les différents pièges laissés par Ghetno. La contournant de plusieurs mètres ils purent constater que la chose était plus végétale qu’animale. Principalement constituée de lianes, de lierre et de mousse, elle semblait se déplacer en s’agrippant aux troncs alentours pour se traîner sur le sol, les maigres racines sur lesquelles elle semblait vouloir ramper ne l’aidant guère. Sa tête, ou du moins ce qui semblait l’être, était constituée de 3 ou 4 pétales vert sombres, longs comme le bras, refermés sur eux-mêmes la faisant ressembler à un bourgeon. Ils s’ouvraient parfois, tremblants, comme pour écouter ou humer l’air ambiant, révélant le rouge vif de l’intérieur de la chose. Les deux aventuriers purent voir cette horrible tête les sentir à plusieurs mètres et se tourner vers eux, avant que la bête elle-même ne modifie sa trajectoire pour les prendre en chasse. Ils reprirent donc leur pas de course, conscients de pouvoir semer cette chose dont les déplacements étaient de toute manière trop lents et pesants pour qu’elle espère les rattraper.
Lorsqu’ils émergèrent enfin de la forêt, le souffle court du fait de leur course, Brutog et Emelda trouvèrent le reste du groupe assis dans l’herbe, à une dizaine de mètres. Les voyant apparaître, Dagnai se releva et vint à leur rencontre :
« Vous allez bien ? S’enquit-il
— Pas trop mal, souffla Emelda. On a vu ce qui nous suivait, Aucune idée de la nature de cette chose, mais c’était pas beau à voir…
— On risque quelque-chose ?
— Je ne pense pas, bien trop lente. Le temps qu’elle arrive ici on sera déjà loin. On sait où on est d’ailleurs !?
— Ouais ! Intervint Jelsen qui les avait rejoins. Sven reconnaît le coin, il dit que le village est à une petite heure de marche, derrière cette colline.
— Il est en état de marcher ? Demanda tout bas la templière, craignant le pire.
— Il n’est pas en forme… répondit Dagnai. Mais avec notre aide ça ira.
— Très bien, alors allons-y. Conclut Emelda.
— J’ai les crocs, grogna l’ogre en prenant la direction de la colline indiquée par Jelsen. J’espère qu’on trouvera à grailler.
— T’en fais pas pour ça. Répondit le répurgateur en lui adressant un clin d’œil, alors que, la main dans sa besace, il faisait rouler entre ses doigts les gemmes ramassées sur le golem. Je pense qu’on à de quoi être accueillis en héros. »
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